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Le pot de terre

Les locavores sont nés dans l'Aude

http://www.frituremag.info/Actualites/Les-locavores-sont-nes-dans-l-Aude.html
Les locavores sont nés dans l’Aude

8 AVRIL 2013

 PAR PHILIPPE SERPAULT

 

Photo Guillaume Rivière

Pendant une année, Stéphane Linou, aujourd’hui conseiller général dans l’Aude, a prouvé que l’on pouvait se nourrir exclusivement d’aliments produits dans un rayon de cent cinquante kilomètres autour du domicile, tout en restant en bonne santé. Une expérience qui a inspiré un mouvement qui se développe partout en France.

La question de la souveraineté alimentaire est régulièrement évoquée à propos des pays dits en développement. Il se trouve que sur un territoire départemental, voire régional de notre pays, la question se pose avec une acuité particulière pour peu que l’on examine la question de l’approvisionnement dans le temps. Aujourd’hui, 80% de l’offre alimentaire est assurée par les grandes surfaces, lesquelles ne disposent que de quatre jours de stock. Géographe de formation et agent de développement local dans le Lauragais audois, Stéphane Linou se pose alors la question de la possibilité d’une pénurie de transport : « Le Lauragais est dans la situation d’un pays sous-développé du point du vue agricole, nous produisons la matière première à grand renfort de produits phytosanitaires et nous rachetons le produit fini », explique-t-il, provoquant l’ire des responsables agricoles du département. Après avoir été animateur de la Confédération Paysanne du département, Stéphane Linou est resté administrateur de l’ADEAR (Association pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural) avant de se faire élire en 2011 conseiller général du canton de Castelnaudary-Nord contre le sortant soutenu par la majorité départementale. Sa réflexion sur la souveraineté alimentaire l’a amené à créer en 2004 la première AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) de l’Aude : « C’est le moyen pour le consommateur de se réapproprier la souveraineté alimentaire dans un système de commercialisation qui revêt un caractère économique et social, le producteur vit ainsi de son travail sans intermédiaire. » Outre le dialogue rétabli entre le producteur et le consommateur, il s’agit également de fixer la richesse sur le territoire : « C’est du commerce équitable Nord-Nord. » Devant le succès rencontré par les AMAP sur le département, Stéphane Linou a souhaité pousser la réflexion au-delà des petits cercles qui se formaient autour des maraîchers. Inspiré par le mouvement “100-Miles Diet” au Canada, il a voulu transposer l’idée dans le Lauragais afin de répondre aux questions essentielles : « Comment on fonctionne, combien de temps on tient ? ».

Des territoires sous perfusion alimentaire

Il s’agissait de mener l’expérience de manière ludique et surtout, de ne pas heurter les susceptibilités locales : « Il a fallu procéder par étapes vis-à-vis des anti-bio et autres sceptiques », le site Internet relatant l’expérience a ainsi été nommé “mangeons local”. Comme toute action allant à l’encontre d’une pensée unique, celle-ce se devait irréprochable. Un bilan médical a été effectué avant et après l’expérience, tandis qu’une conseillère en économie sociale et familiale suivait le processus. De plus, Stéphane Linou est allé là où ses détracteurs potentiels l’attendaient le moins, sur le terrain de l’ordre public. D’où le regard d’un lieutenant-colonel de réserve qui devait décrire d’une façon lapidaire la situation en cas d’approvisionnement défaillant : « Au bout de quatre jours, tout le monde se tape dessus. » Si les élus, forts de leurs certitudes, ont tout simplement ignoré la démarche, le public s’y est largement intéressé : « Le fait de ne consommer aucun produit exotique a attiré l’attention, on m’a notamment mis en garde contre une éventuelle carence en vitamines », lesquelles vitamines se trouvent d’abord dans les légumes frais. L’expérience a duré de septembre 2008 à septembre 2009, et le rayon d’approvisionnement n’a pas dépassé cent cinquante kilomètres. La démarche demande de changer quelque peu nos habitudes : « Il faut cuisiner et transformer », et l’impact se mesure notamment dans la vie sociale. « J’ai fait en sorte de me soumettre à un contrôle social absolu et permanent, y compris en famille », les amis se trouvant à la même table se prenaient au jeu. Par cette expérience largement médiatisée, Stéphane Linou a reçu des centaines de contacts de toute la France, le mot locavore est entré dans le dictionnaire à cette occasion. Dans la pratique, le départ a été difficile, les infusions de plantes ont remplacé le thé : « J’ai fait la différence entre le besoin et le caprice, entre ce qui est agréable et ce qui est vital. »

Fort de son expérience, Stéphane Linou s’est forgé un regard différent sur le territoire : « Nos territoires sont sous perfusion, comme des corps malades, nous avons une résilience alimentaire très réduite », notre système basé sur la déterritorialisation de la production et de la consommation reste vulnérable. Si, à l’époque, la notion de circuit court était taboue dans l’Aude, aujourd’hui tout le monde tente de récupérer le concept à son avantage. La démarche locavore reste crédible à condition de repenser la politique agricole afin de la mettre au service de l’alimentation de la population : « Aujourd’hui, la politique alimentaire est assurée par les multinationales de distribution », constate Stéphane Linou dont l’action a contribué à faire bouger les lignes. Celui-ci s’étonne des carences législatives en vigueur : « La satisfaction de nos besoins alimentaires n’est jamais quantifiée, contrairement aux loisirs, déplacements ou logement », et de proposer d’inscrire 50% de la consommation de produits locaux dans la loi SRU (Solidarité et Rénovation Urbaine). En toile de fond, il s’agit d’un appel à conserver ce qui reste de terres nourricières autour des villes. Un maire considère encore trop souvent un lotissement plus lucratif que des cultures, celles-ci ne génèrent pas de taxe d’habitation. À l’exception de l’Aude, des collectivités sollicitent Stéphane Linou pour des interventions sur les circuits courts, tout comme des universités ou des lycées. La réintégration de l’alimentation territorialisée dans le champ du politique est à l’ordre du jour. Pour autant, il ne suffit pas d’en reprendre la sémantique en offrant un nouveau monopole de la production comme de la distribution à un lobby syndical ou industriel quel qu’il soit. La balle est dans le camp du producteur et du consommateur, pour peu qu’ils se tournent vers un mieux disant environnemental.

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